La crise sanitaire nous fait prendre conscience de l’interdépendance de toutes choses.

La crise sanitaire nous fait prendre conscience de l’interdépendance de toutes choses. L’adage du battement d’aile d’un papillon qui peut provoquer un typhon à l’autre bout du monde n’a, en effet, jamais été aussi vrai. Les virus voyagent, comme voyagent les hommes d’un bout à l’autre de la planète grâce à des moyens de transport, de plus en plus rapides, qui nous relient les uns aux autres pour la découverte, pour le plaisir, pour le business. Et nous sommes nombreux à être orphelins de ne plus prendre un avion ou un train pour aller vers des ailleurs.

« La sédentarité n’est qu’une brève parenthèse dans l’histoire humaine. Durant l’essentiel de son aventure, l’homme a été façonné par le nomadisme », écrivait Jacques Attali en 2003, dans un essai L’homme nomade paru chez Fayard. Le confinement sera une brève parenthèse, nous le savons... Titré « Le désir et la peur », le premier chapitre de cet essai augure bien de la tension qui nous saisit lorsqu’il nous faut aller vers des ailleurs, vers des inconnus. La globalisation initiée par des démocraties capitalistes comme la nôtre, ont fait tomber des murs, réduit les distances, facilité les flux, enrichi les populations, alimenté notre désir de voir plus loin, qui n’empêche pas la peur de l’inconnu. Le confinement physique qui nous est imposé, pour nécessaire qu’il soit, est une atteinte à notre intelligence (l’infantilisation étatique est insupportable) et à notre goût pour la liberté (la pensée occidentale a été façonnée sur le principe de l’être et de l’existence contre des systèmes totalitaires). Le confinement sera une brève parenthèse...

Heureusement, le désir de l’autre, le désir de nomadisme sont notre nature, en espérant que la peur irrationnelle ne prenne pas le dessus. Car on voit flotter dans l’air, l’envie sourde d’un confinement nationaliste dans les têtes qui suggère que la non-porosité des frontières serait le garant d’une protection absolue contre des « ennemis invisibles ». Gardons-nous de ces tentations faciles et cherchons plutôt à corriger une mondialisation par trop relâchée, plutôt que de semer l’espoir frelaté d’un nationalisme bienfaisant, mais sournois et délétère. La politique, la civilisation, la culture, l’économie... n’existent et ne sont productives que grâce aux flux, au « fait de mobilité, de glissements, de migrations, de sauts et de voyages », pour citer à nouveau Jacques Attali. Notre Europe, jugée laborieuse par nos concitoyens, est le fait de ces flux (soutenus par l’espace Schengen), de son assemblage, incongru peut-être, de pays divers, qui nous ont permis d’être ce que nous sommes : un formidable creuset de richesses identitaires et libres qui n’existe nulle par ailleurs.

Pendant des siècles, les Européens ont été des colonisateurs, des envahisseurs, instillant ici et là leurs cultures, leurs façons de penser et leurs lois (pas toujours à bon escient), aujourd’hui, ils sont des compétiteurs, comme les autres dans la globalisation. Et des compétiteurs capables encore de façonner et de dominer l’économie, d’instiller un art de vivre, de promouvoir la civilisation du beau et du bien, de faire rayonner la liberté d’entreprendre bien au-delà de leurs frontières nationales. Pour seuls exemples, le secteur du luxe est dominé par les Européens : le Français LVMH numéro 1 mondial, le Français Kering numéro 2, le Suisse Richemont numéro 3 ; le secteur de la beauté est dominé par le Français L’Oréal, incontestable leader planétaire ; le secteur de l’optique-lunetterie est dominé par le franco-italien EssilorLuxottica, indéniable géant qui démontre notre proximité consanguine avec nos voisins transalpins et notre capacité à dépasser les batailles d’egos de managers au tempérament trop sanguin, pour prouver combien l’intelligence et le bon sens peuvent prendre le dessus. Cet accouplement continu de susciter de la crainte, or, en économie comme ailleurs, il est toujours préférable d’avoir des leaders bien identifiés contre qui se battre pour s’améliorer et progresser, stimuler la nécessaire concurrence... Alexis de Tocqueville*, ce visionnaire que j’invite à relire pour empêcher que nos démocraties se dérobent sous nos pieds, disait : « Ayez donc de l’avenir des craintes salutaires qui fait veiller et combattre, et non cette sorte de terreur molle et oisive qui abat les cœurs et les énerve. »

* De la démocratie en Amérique, tome 2.

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