Troisième événement du genre, qui s’est tenu vendredi dernier, le Forum Européen de la Vision 2022 organisé par le Club Inter-Optiques a mis en évidence les grands défis structurels et conjoncturels que doit relever - collectivement - la filière. Synthèse et verbatims.

Organisé cette année encore dans les salons de la Maison de l'Amérique Latine, à Paris, le Forum Européen de la Vision, 3ème édition du genre, est orchestré par le Club Inter-Optiques (CIO)* qui est, rappelons-le, une instance de discussions des décideurs de la filière. Toute la matinée du vendredi 17 juin, une dizaine d’intervenants se sont succédés au pupitre pour partager leurs points de vue avec l’auditoire d’une cinquantaine de personnes. « Il est toujours passionnant de réunir d’éminents responsables de notre filière pour échanger sur les dernières tendances économiques et techniques », a déclaré en ouverture Harro Lotz, le président du CIO. Puis l’intéressé a passé la parole à des conférenciers venus d’Allemagne, d’Angleterre, des États-Unis, d’Italie et bien sûr de France.

La première à prendre la parole c'est Elaine Grisdale, en tant que représentante de l’International Opticians Association (IOA), la grande organisation professionnelle basée outre-Manche. Parfaitement francophile, elle a parlé des initiatives grandissantes, dans son pays en particulier, autour du développement durable. « Il est clair que ces dernières années il y a une prise de conscience généralisée », s’est-elle félicitée, heureuse de constater que des « meneurs ouvrent la voie à la durabilité » et que des outils d’évaluation, de l’empreinte carbone notamment, prennent forme pour accompagner les opticiens dans leur conversion eco-friendly. Et d’insister, à la fin de son intervention, sur la nécessité de mettre en place un cercle vertueux concret et complet : « Vendre quelques lunettes écolos ne fait pas de vous un opticien écolo », a-t-elle tenu à dire, même si c’est évidemment une première étape possible du « voyage de l’optique vers la durabilité ».

Également invité à ce Forum : le Dr Thierry Bour. Le président du syndicat des ophtalmologistes a eu l’occasion, entre autres choses, d'interroger les contours de ce que pourrait être, demain, la profession d’opticien. Les règles professionnelles pour l'optique qu’il appelle de ses voeux depuis des années ? « Elles manquent toujours. » La refonte profonde de la formation du métier ? « On en parle depuis dix ans et on ne voit toujours rien venir. » Les nouveaux champs d’intervention de l’opticien à l'avenir ? « Il ne faut pas copier les orthoptistes », estime-t-il, façon de dire en creux que le droit à la primo-prescription ne doit pas être un objectif pour les opticiens. Puis il a passé en revue les éventuelles extensions - sous conditions - de l'activité de l'opticien demain : les Ehpad, l’optique à domicile, la prévention en entreprise ou encore le suivi visuel dans le cadre du permis de conduire...

En visio depuis Leipzig, Thomas Truckenbrod, le président du syndicat allemand ZVA, a évoqué la situation du marché outre-Rhin. En 2021, quelque 39,5 millions de verres ont été vendus là-bas et près de 13 millions de montures se sont écoulées. Il a rappelé aussi que le marché domestique était structuré différemment par rapport à l’Hexagone. Si les dix chaînes d'optique affichant les chiffres d'affaires les plus élevés représentent 22 % des points de vente du pays, en revanche elles captent à elles seules la moitié du CA du marché au global. Au chapitre du fonctionnement des magasins, il a notamment fait état du « manque criant de personnel », laissant entendre que le recrutement est semble-t-il aussi tendu chez nos voisins allemands que chez nous… C’est le marché italien que Valentina Rocco, directrice marketing au sein de Vision Group, a abordé de son côté, évoquant surtout le récent rachat par son groupe des 174 magasins cédés par EssilorLuxottica (dont l’ensemble de la chaine VistaSi - 99 boutiques - ainsi que 75 points de vente du réseau GrandVision). Rappelons que cette acquisition a fait suite à une exigence de Bruxelles lors du projet d’intégration de GrandVision par le géant italo-français.

Les interventions de James Conway (Millmead), Jenkiz Saillet (Novacel) et Frédéric Lefranc (PPG) portaient quant à elles sur les tensions internationales grandissantes qui entrainent une hausse sans précédent des prix partout : transports, énergie, matières premières, pas un domaine n'y échappe… Les exemples de flambées des tarifs donnés par le directeur général de Novacel ont servi à illustrer « une situation inédite ». Les effets dominos successifs, liés d’abord à la crise sanitaire puis à la guerre en Ukraine, font peser sur les entreprises des charges et des coûts qu’elles n’avaient encore jamais connus. Sans dramatiser mais cherchant à être lucide, M. Saillet ne semble voir, à date, que l’augmentation des prix de vente à l’opticien et, par ricochet, auprès du client final, pour compenser quelque peu « une hausse linéaire et constante des coûts dans à peu près tous les postes » des entreprises de l’optique en général. Une question dans l’auditoire à ce moment-là : n’est-il pas temps, pour l’opticien, de valoriser davantage ses prestations de santé pour amortir ses propres coûts qui ne manquent pas d'augmenter également ? « C'est une piste, en effet », a souscrit M. Saillet. Quant à M. Lefranc, en poste aux États-Unis chez le poids lourds PPG spécialisé notamment dans le verre, il est revenu sur les perturbations (crise sanitaire, dérèglements climatiques…) qui entravent plus plus moins fortement une industrie ophtalmique massivement mondialisée. « Le développement durable, a-t-il dit notamment, c’est LE gros chantier qui nous attend, car le Life Cycle Analysis [une méthode objective qui évalue l'impact d'un produit ou d'un service sur l'environnement, au regard de l'ensemble de son cycle de vie_ndlr] du secteur doit être largement amélioré ».

Dans un exercice de projection à dix ans, Jean-Philippe Sayag, le président d’ACEP, nous a entretenus, lui, du développement programmé du métavers. Oui, les mondes virtuels parallèles seront sources de business réel pour l'optique et bien plus tôt qu’on ne le croit ; c’est, en substance, le message que le dirigeant a voulu faire passer. Bien conscient que la bascule socio-économique dans l’univers virtuel laisse certains sinon perplexes du moins sceptiques, lui veut croire, étude prospective à l’appui, qu’il faudra intégrer à terme le métavers dans le parcours-client de la santé visuelle. Demain, on ne saurait faire l’impasse sur ce qui est appelé à devenir un « vrai outil de drive to store, un vrai accélérateur ». Et d’inciter les acteurs de la filière à très sérieusement s’y intéresser. Un chiffre à retenir dans sa présentation, tiré d’une étude Gartner : 25 % des clients, a-t-il dit, vont passer au moins une heure par jour sur le métavers d’ici 2026. 2026, c’est-à-dire demain…

* À ne pas confondre avec l'autre CIO, le Conseil Interprofessionnel de l’Optique.

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