Blacksheep s’installe à Paris… retour sur un traitement médiatique
Alors que Blacksheep et son modèle digital ultra low cost s’offrent provisoirement un bel emplacement parisien, coup d’oeil sur le traitement médiatique, ces dernières semaines, de ce concept commercial « sans intermédiaire » qui entend « révolutionner » l’optique et défier une filière (trop ?) silencieuse qui fait le gros dos...
Des prix défiant toute concurrence : montures à 2,50 euros, verres simples à 5 euros, progressifs à 25 euros… Blacksheep et ses équipements vendus à bas prix, fièrement estampillés made in China, débarquent à Paris. La plateforme de vente en ligne s’installe temporairement, pour quelques semaines jusqu’en janvier, sur la prestigieuse et très fréquentée rue de Rivoli. En l’occurrence à l’emplacement de l’enseigne Polette, dont Pierre Wizman - le créateur français de Blacksheep - est par ailleurs rappelons-le co-fondateur. C’est là un premier paradoxe que la plupart des médias généralistes n’ont pas vraiment relevé : le nouveau venu qui entend bousculer tout le secteur de l’optique en se revendiquant tout-digital et « sans intermédiaire » n’en passe pas moins par un commerce physique pour orchestrer en fanfare son lancement… La curiosité piquée par ce modèle ultra low cost et ses promesses d'ubérisation, nos confrères de la presse grand public passent également à côté, semble-t-il, d’une seconde contradiction qui mériterait d’être pourtant questionnée : quid de la concurrence que Blacksheep va faire à Polette ? Le premier concept ne va-t-il pas phagocyter le second ?
Élargissons la focale. Dans le traitement du phénomène Blacksheep ces dernières semaines, bien des médias grand public ont recueilli la parole de potentiels clients, à travers des micro-trottoirs tous azimuts, un peu comme on a pu le voir lors de la séquence de l'implantation houleuse de Shein au BHV. Pour schématiser, ces rapides sondages improvisés font état, d’un côté, d’une perplexité (certaines personnes s’interrogeant sur le rapport qualité/prix de l’offre Blacksheep) et, de l’autre, d’un vif intérêt, certains répondants confiant leur a priori positif sur une initiative commerciale censée profiter à leur portefeuille. Dans la sélection d'articles et reportages que nous avons passés en revue, les médias généralistes font en revanche peu voire pas de place du tout à la parole de la filière, qu’il s’agisse de fabricants (verriers, lunetiers) ou d’opticiens. De fait, rares sont les représentants du secteur à faire valoir leur point de vue sur l’arrivée très médiatisée de Blacksheep et, surtout, son positionnement crânement affiché comme disruptif. Ici une question se pose : comment expliquer cette relative absence d’une perspective contradictoire ?
À notre connaissance, les médias généralistes ont bien cherché à solliciter des porte-voix sectoriels. Des syndicats, des enseignes locales ou nationales et même des opticiens indépendants ont été contactés par la presse quotidienne régionale, les radios, les chaînes d’infos. Beaucoup ont toutefois préféré décliner. Raison avancée : ne pas « faire de publicité au ‘mouton noir’ [la traduction littérale de Blacksheep] ou entrer dans une polémique stérile sans fin », admet un interlocuteur qui estime qu’ « on rejouerait inutilement des épisodes du passé, comme à l'époque des lancements électriques de Sensee ou Lunettes pour Tous ». C’est une position que certains opticiens sur le terrain, avec lesquels nous avons pu échanger, comprennent à défaut de totalement la partager : « C’est vrai, bien sûr, que monter au créneau crée du buzz supplémentaire autour de Blacksheep, mais dans ce cas-là comment faire pour que la filière se défende ?! Comment empêcher alors que notre image soit encore écornée ?!, réagit un de nos interlocuteurs, visiblement contrarié. Est-ce que ça veut dire qu’on doit à nouveau encaisser sans rien dire ? » Quant à ceux des très rares représentants de la filière ayant accepté de donner suite aux demandes d’interviews des médias grand public, ils ont généralement pu constater, dépités, que leurs propos étaient soit généralement réduits à la portion congrue, soit complètement mis de côté dans les sujets finalisés. « On est pris entre le marteau et l’enclume, se désole-t-on dans les rangs d’une instance syndicale. Si on prend position, on nous reproche de faire de la communication au mauvais sens du terme. Et si on reste en retrait, on nous reproche d’être passifs. » C’est tout le dilemme de la filière en ce moment : comment sortir d’une position défensive sinon passive sans faire le jeu médiatique de l'offensif Blacksheep ?
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