Activité qui a visiblement le vent en poupe, l’optique hors-les-murs est une facette du métier qui semble séduire bien des opticiens. Pour aborder le sujet, interview exclusive de Matthieu Gerber, fondateur des Opticiens Mobiles, réseau national d'opticiens spécialisés créé en 2015.

Fréquence Optic : Comment s’est déroulé le premier confinement et la reprise qui a suivi ?

Mathieu Gerber : Comme l’ensemble des acteurs du secteur, le premier confinement a mis un coup d’arrêt à notre activité. Tout le monde sans exception l’a subi de plein fouet. Tous nos partenaires historiques, les établissements de santé, ont fermé à ce moment-là et nous n’avons maintenu, pendant cette période, qu’un volant d’activités réservées aux urgences. Au sortir du confinement, la reprise a été très forte et très rapide, illustrant un parfait schéma en V. Et pour cause : les besoins visuels peuvent être différés mais pas éternellement reportés.

Le principal enseignement que vous tirez de cette expérience ?

D’un point de vue sociétal, il me semble qu’il y a eu une prise de conscience qu’il nous fallait protéger nos aînés. Cette population vulnérable à laquelle nous avons, nous Opticiens Mobiles, affaire toute l’année, a été mise sous les projecteurs comme rarement. Il faut espérer maintenant que ce souci soit durable.

D’un confinement à l’autre, votre clientèle a-t-elle évolué ?

Notre cœur de métier c’est d’intervenir auprès de toutes les populations fragiles, dîtes dépendantes pour des raisons soit de handicap, soit de perte d’autonomie liée au grand âge. Nous nous déplaçons donc avant tout dans les Ephad, résidences seniors et autres structures associées. Mais, de fait, une nouvelle demande a peu à peu vu jour ces derniers mois. Avant le confinement, 75 % de nos bénéficiaires étaient des personnes dépendantes et les autres 25 % consistaient en des interventions à domicile auprès d’une population plus variée. Aujourd’hui, nous sommes plutôt à 55/45. Ce rééquilibrage va-t-il perdurer ? Nous allons suivre cette évolution. Ce qui est sûr, c’est que la proportion des personnes dépendantes n’aura de cesse d’augmenter à l’avenir. Aujourd’hui ce sont environ 3 millions de personnes qui le sont. Dans vingt ans ce chiffre aura doublé ! C’est dire l’enjeu qui nous attend. Nous intervenons sur un marché de niche mais le potentiel est très important.

Idéalement, combien de personnes voudriez-vous prendre en charge sur une année ?

Actuellement, par an, 15 000 personnes bénéficient de nos services. Nous souhaiterions passer à 75 000 dans les cinq ans. D’où l’active campagne de recrutement que nous avons en cours. Le recrutement de nouveaux opticiens est pour nous stratégique, c'est l'un des leviers majeurs de notre développement.

Actuellement, quel est le profil du réseau ?

Nous comptons 70 opticiens : 20 % de salariés en CDI et 80 % de franchisés. La force de notre modèle c’est que nous proposons aux opticiens de se consacrer à leur cœur de métier et à cela seulement. Ils ne gèrent ni les achats, ni les tiers-payants, ni le SAV, ni la facturation, etc. S’investir dans la mobilité c'est se recentrer sur l'acte santé, et ce avec un coût de départ léger. À terme, nous aimerions mobiliser 1 % des 38 000 opticiens diplômés en France. Avoir quelque 380 à 400 opticiens quadrillant la France serait un maillage idéal.

Les opticiens qui viennent à vous en ce moment sont dans quel type de démarche ?

Depuis le début d’année, ceux qui nous rejoignent veulent trouver un complément d’activité et/ou exercer autrement le métier. Il y a par exemple des opticiens qui, au lieu d’ouvrir un nouveau magasin, s’impliquent dans ce domaine pour renforcer leur présence sur leur zone de chalandise. 

Le risque pour eux n’est-il pas de se phagocyter ?

Non car c’est tout l’intérêt de notre modèle : l’optique mobile telle que nous la concevons, permet de se diversifier sans se cannibaliser. Une fois l’activité bien lancée, un opticien peut dégager 12 000 euros HT de chiffre d’affaires par mois. Pour certains multipropriétaires, par exemple, cela permet de maximiser le travail de certains salariés lors des temps morts dans un emploi du temps, avec des profils dédiés à la mobilité. Je le redis : l’optique mobile prolonge le magasin sans en court-circuiter l’activité. Nous sommes apporteurs de rentabilité. En quelques années, nous avons clairement fait la preuve qu’un changement de paradigme était non seulement possible mais viable.

Diriez-vous qu’opticien mobile c’est exercer un métier dans le métier ?

C’est exactement ça, oui, je reprends l’expression à mon compte ! Nous n’avons pas créé un nouveau besoin mais nous y avons répondu. L’arrivée des Opticiens Mobiles permet aux uns et aux autres d’exercer pleinement leur métier, mais autrement. Cette approche est pertinente au regard de l’évolution des modes de vie. Au début, notre modèle a pu faire sourire les sceptiques… Ce n’est plus le cas : les Opticiens Mobiles ont su trouver leur place dans la chaîne des acteurs du médico-social et au sein de la filière visuelle.

Justement, et pour finir, comment la filière visuelle vous semble-t-elle devoir évoluer ?

Les opticiens, et nous en particulier, avons une carte à jouer essentielle. La démographie vieillissante des ophtalmologistes va nécessiter plus de collaborations entre tous les professionnels de la santé visuelle. À l’avenir, le potentiel serviciel de l’opticien ne peut aller qu’en s’accentuant. Parce que l’opticien est le seul des trois 0 à pouvoir se déplacer sur le terrain, il sera au cœur d’un dispositif collaboratif que j’appelle de mes vœux. Si on dépasse les corporatismes qui, hélas, subsistent encore ici et là, on pourrait être la première filière de santé qui mette vraiment fin aux déserts médicaux. Nous pouvons, les trois 0 ensemble, amener l’accès aux soins visuels partout où il fait défaut.



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