De nouveau, Dominique Turcq nous invite ici à regarder en arrière pour mieux se projeter. À décentrer le regard pour apprendre à voir autrement ce qui se joue aujourd'hui avec les nouvelles technologies. Et surtout à anticiper, ou accompagner, les changements qui toucheront le travail dans nos sociétés. Ramenées au secteur de l'optique et à ses potentialités, ces considérations prennent en effet une tonalité toute particulière. Il suffit de penser au développement des lunettes intelligentes qui, quoique balbutiant encore, ne manquera pas, à terme, de bouleverser notre rapport à la vue. Cela a d'ailleurs déjà commencé dans tel ou tel domaine d'activité - typiquement l'aéronautique ou le stockage - où les lunettes sont utilisées à des fins professionnelles, contribuant à faire évoluer certains métiers. Sans parler de l'impression 3D, un thème que Dominique Turcq a abordé ici même, et qui devrait elle aussi profondément bousculer la production, la distribution et, partant, la consommation_ La rédaction.

De nouveau, Dominique Turcq nous invite ici à regarder en arrière pour mieux se projeter. À décentrer le regard pour apprendre à voir autrement ce qui se joue aujourd'hui avec les nouvelles technologies. Et surtout à anticiper, ou accompagner, les changements qui toucheront le travail dans nos sociétés. Ramenées au secteur de l'optique et à ses potentialités, ces considérations prennent en effet une tonalité toute particulière. Il suffit de penser au développement des lunettes intelligentes qui, quoique balbutiant encore, ne manquera pas, à terme, de bouleverser notre rapport à la vue. Cela a d'ailleurs déjà commencé dans tel ou tel domaine d'activité - typiquement l'aéronautique ou le stockage - où les lunettes sont utilisées à des fins professionnelles, contribuant à faire évoluer certains métiers. Sans parler de l'impression 3D, un thème que Dominique Turcq a abordé ici même, et qui devrait elle aussi profondément bousculer la production, la distribution et, partant, la consommation_ La rédaction.

Jules Verne (1828-1905) vivait dans une époque comparable à la nôtre. Les nouvelles technologies se déployaient exponentiellement et se combinaient. La machine à vapeur, l’électricité, le gaz domestique, le pétrole, les chemins de fer, le transport maritime, l’automobile et les nouveaux instruments de guerre changeaient le monde et allaient bouleverser toutes les industries, tous les métiers, toutes les qualifications dans une Europe encore largement agricole et peu mécanisée. Jules Verne avait anticipé les développements de domaines aussi variés que l’aviation, les hélicoptères, les sous-marins, les scaphandres, les fusées interplanétaires, les explosifs les plus puissants, les énergies les plus incroyables, les communications à distance, l’enregistrement musical, la radio, etc.
Il avait aussi, avec ses héros faits pour l’imagination populaire – ses Phileas Fogg, ses capitaine Nemo et ses Michel Strogoff – annoncé les Steve Jobs et les Elon Musk.Jules Verne a influencé tous les adolescents, au moins jusque dans les années 70 et encore aujourd’hui il influence des réalisateurs d’Hollywood. Des productions comme Ex Machina, Avengers : L’Ère d’Ultron et surtout Tomorrowland, témoignent encore de son esprit d’exploration. Je verrais bien Elon Musk et son désir d’aller sur Mars comme une réminiscence julesverniste.
 
Notre ère pourrait être Julesverniste à nouveau

Notre époque pourrait susciter de nombreux Jules Verne tant le déploiement rapide et les multiples combinaisons des technologies les plus avancées nous permettent d’imaginer des futurs encore plus visionnaires et progressistes que ceux que pouvait envisager le célèbre auteur. Nous pouvons rêver concrètement de maisons imprimées en 3D, de bâtiments positifs en énergie, de traitements médicaux préventifs pour quasiment toutes les maladies, d’automobiles volantes et à tout le moins réellement auto-mobiles, etc. D’ailleurs on peut observer depuis quelques petites années la montée de magazines réellement julesvernistes comme Wedemain, SoonSoonSoon, Silex et quelques autres.
Mais il existe semble-t-il une grande différence entre l’époque de Jules Verne et la nôtre. Pendant la seconde moitié du XIXème siècle le progrès apparaît comme un moyen de compenser les maux dont souffre l’humanité – il est pourtant incarné par les technologies les plus envahissantes, les plus polluantes et les plus disruptives qu’elle ait jamais connues. La faim, la maladie, seront éradiquées, l’éducation pour tous sera possible, les aventures et les découvertes sont à la portée de main de chacun. La civilisation technologique sera la chance du monde. Certes on imagine alors aussi des engins de guerre et des applications meurtrières de toutes ces découvertes comme les mitrailleuses, des canons à longue portée, les gaz asphyxiants, etc. (même si l’invention la plus meurtrière de toute, en 1884, n’a jamais été identifiée comme telle : l’automobile), on s’inquiète, un peu, de la disparition de métiers anciens, mais les opportunités sont les plus fortes, l’avenir est assuré. La technologie qui peut sauver le monde inventera des solutions aux maux qu’elle pourrait générer elle-même !
Aujourd’hui, à quelques exceptions près, nous semblons nous complaire dans la contemplation des effets négatifs des technologies, de leurs impacts sur la vie privée, les emplois, les conflits, voire sur la mise en cause de la supériorité de la pensée humaine qui serait bientôt supplantée par l’intelligence artificielle (pour ma part il y a bien longtemps que j’ai compris, et accepté, qu’une feuille Excel calculait bien plus vite et mieux que moi). Nous avons tendance à communiquer sur les peurs, voire sur des régressions potentielles là où le julesvernisme communiquait sur l’envie, l’enthousiasme, les solutions que les technologies allaient apporter aux grands problèmes de l’humanité.

Pourquoi redevenir julesverniste ?

Comme au temps de Jules Verne les ruptures (les disruptions comme il faut dire actuellement) sont légions. Des nouvelles domestications de l’énergie et de nouvelles énergies, des nouveaux matériaux, des nouveaux moyens de communication, des nouvelles intelligences, des nouvelles avancées médicales, des nouvelles découvertes en astrophysique, des nouveaux ordinateurs quantiques, les neurosciences, etc. se déploient et se combinent sous nos yeux pour forger une constellation d’innovations.
Les implications pour l’humanité sont tout aussi potentiellement considérables. La mobilité va voir se développer un écosystème totalement nouveau et moins absurdement polluant, dangereux et inefficace (dans nos villes) que l’automobile individuelle à carburant fossile. L’alimentation mondiale pourrait être assurée, les énergies pourraient être plus propres, nos villes pourraient être moins polluées et plus agréables à vivre, les tâches les plus dangereuses, les plus pénibles ou les plus ennuyeuses pourraient nous être épargnées, etc. Autrement dit le « pourquoi » être julesverniste aujourd’hui pourrait être évident si l’on acceptait encore de croire que le progrès, comme au temps de Jules Verne, apporte aussi des créations d’emplois, permet d’imaginer un plus grand confort pour les hommes et traitera de nombreux problèmes de l’humanité.

Comment redevenir juleverniste ?

Le « comment » est un peu plus complexe car il demande un effort intellectuel et émotionnel différent que le simple optimisme enthousiaste décrit plus haut, certes parfois naïf et béat comme ce fut le cas pour Jules Verne. Il nous demande de renoncer à certains avantages acquis ou de réviser quelques-unes de nos conceptions. Mais la plupart d’entre nous sommes plus à l’aise avec un passé connu qu’avec un futur incertain, aussi prometteur soit-il.
Pourtant les choses avancent, progressivement. Combien décriaient le téléphone portable à la fin des années 90 en disant que jamais ils ne s’en équiperaient, qu’on ne les dérangerait pas en permanence ? Parmi ceux qui sont si heureux aujourd’hui que le chauffeur UBER vienne à leur rencontre dans les 5 minutes ou que leur voiture puisse être localisée en cas d’agression, de danger ou d’accident, combien ont dit qu’on ne les y prendrait pas lors de l’avènement de la géolocalisation ? Oui, nous changeons dès que les bénéfices des technologies deviennent un peu plus apparents.
Keynes disait en 1933 que la crise, le chômage, n’étaient qu’un « dysfonctionnement temporaire ». Il prédisait que grâce à l’automatisation et aux progrès techniques ses petits enfants seraient huit fois plus riches et ne travailleraient que quinze heures par semaine. Oui, nous sommes huit fois plus riches ; non, nous ne travaillons pas que quinze heures par semaine. Il avait bien estimé le progrès et l’enrichissement, il avait sous-estimé la création d’emplois liés aux nouvelles technologies et au progrès. Ne faisons pas la même erreur. Oui, le progrès nous permettra probablement d’être encore huit fois plus riche dans moins d’un siècle. Non, nous ne travaillerons pas moins ou pas beaucoup moins. Il est surprenant de voir qu’alors que des problèmes graves touchent l’humanité aujourd’hui, de l’alimentation au vieillissement, à la santé, à l’hygiène, à l’environnement sous toutes ses formes, à la gestion de nos villes, à la formation et à l’éducation, j’en passe et des meilleures, nous nous préoccupons surtout des jobs dont l’humanité pourrait être privés, comme si les robots et l’intelligence artificielle allaient répondre sans nous à tous ces besoins. On oublie tous ces jobs dont nous allons avoir besoin pour traiter les multiples problèmes auxquels nous faisons face. La naïveté a semble-t-il changé de camp.

Et si la vraie question n’était pas la technologie mais la place du travail dans nos sociétés ?

La vraie question n’est pas dans le rôle des technologies mais dans notre façon de considérer et de rémunérer le travail. Si des besoins, de fait gigantesques, ne peuvent pas être couverts alors que des populations n’ont pas de travail, c’est que le décalage entre ce que nous acceptons de payer (ou de faire) et ce que nous voulons comme environnement devient absurde. Les technologies devraient en partie nous permettre de réduire ce décalage mais, avant tout, c’est d’une révision de notre modèle social qu’il faut se préoccuper.
Être julesverniste ne veut donc pas seulement dire s’emballer pour de nouvelles technologies et leurs promesses, c’est aussi remettre en cause nos modèles, accepter l’obsolescence de nos vues sociétales, de nos savoir-faire, de nos idées pré-conçues (c’est-à-dire conçues dans un temps antérieur). Être julesverniste c’est abandonner l’illusion d’un écosystème passé qui se prolongerait dans l’avenir et c’est « hacker » les technologies d’aujourd’hui et de demain pour qu’elles apportent de vraies solutions sociétales, culturelles, économiques, c’est-à-dire les apprivoiser dans des buts de progrès de nos sociétés et de nos entreprises.