Le forum NewWork, dans le cadre du salon produrable en avril 2018, m’a demandé de faire un keynote sur le travail en 2030… en moins de 10 minutes. Le challenge était plutôt intéressant et voici ce que cela a donné.

Le forum NewWork, dans le cadre du salon produrable en avril 2018, m’a demandé de faire un keynote sur le travail en 2030… en moins de 10 minutes. Le challenge était plutôt intéressant et voici ce que cela a donné.
Bien sur, ce keynote introduisait une discussion plus profonde avec trois experts (Caroline Bloch, DRH de Micrrosoft, Denis Pennel, de la World Employment Federation et Danièle Linhart directrice de recherche CNRS en sociologie du travail).
Le brief : A quoi ressemblera le travail en 2030 ? Comment réconcilier travail et société dans un monde en pleine évolution ? Serons-nous tous entrepreneurs nomades ? Le contrat commercial aura-t-il remplacé le contrat de travail et l’intermittence sera-telle devenue la règle ? L’entreprise modulaire et les fabs labs auront-ils eu raison du bureau et de l’usine traditionnels ? Les espaces de co-working et les réseaux professionnels se substitueront-ils au travail en équipe et aux espaces de dialogue social ? Le développement de l’intelligence artificielle va-t-il détruire le travail et dissoudre le contrat social dans les algorithmes ? Ou au contraire libérer l’homme, déployer ses compétences, et redonner force et plaisir au travail ?

Le Keynote :
2030 c’est presque demain. Dans 12 ans, même si le monde va continuer à changer quelque peu d’ici là… (rappelons-nous le monde d’il y a 12 ans en 2006… l’arrivée du smartphone et des réseaux sociaux…).
Que se passe-t-il, en bref, dans notre monde du travail aujourd’hui qui pourrait le modeler pour les 12 prochaines années ?
Il ne s’agit pas ici de faire une introduction à toutes les tendances qui vont impacter le monde du travail (il y a plusieurs études sur le sujet) mais de souligner les points les plus en rapport avec ce qui nous préoccupe ici, en lien avec les réflexions de Produrable.

En technologie tout d’abord
Le digital sous toutes ses formes va encore impacter considérablement le monde du travail. Il va continuer à réduire les couts de transaction, à faciliter l’émergence de plateformes de toutes sortes et à permettre l’accumulation de données.
L’intelligence artificielle en particulier va nous « augmenter » en nous permettant d’avoir des savoir-faire que notre cerveau seul ne peut maitriser.
Le marché du travail va avoir besoin d’une période d’ajustement. Elle sera plus ou moins longue et plus ou moins pénible, notamment selon les catégories de savoir-faire.

Nous allons aussi, individuellement, avoir besoin d’une période d’ajustement pour travailler avec les machines en conservant notre libre arbitre et notre autonomie.
Les neurosciences ensuite vont permettre de mieux comprendre les émotions, les réactions, les prises de décisions, les capacités à se former, etc.  On a nommé des CDO, j’attends la première nomination d’un CNO avec impatience car ces technologies vont bouleverser nos vies et celles des entreprises.

En sociologie ensuite
Notre société est en train de changer. Elle créé/ attend de nouvelles proximités. Elle va demander notamment plus de contacts humains, plus d’écologie, plus d’artisanat, plus de satisfaction au travail, plus d’humanité dans les décisions. Le lien du forum New Work avec le salon Produrable n’est pas qu’un hasard. L’entreprise est un acteur clef de la durabilité de notre société, elle est donc « attendue » par toutes les parties prenantes sur ce plan de la proximité entre les hommes, entre les hommes et leur travail, entre les hommes et l’environnement de notre planète.

Nous allons vivre de plus en plus avec deux doubles digitaux, notamment parce que nos traces digitales s’accumulent rapidement. Ainsi nous avons un premier double qui sait mieux que nous même ce que nous faisons, avons fait ou écrit ou déclaré, et avec une précision supérieure à notre propre mémoire. Il est constitué de nos traces digitales. Mais nous avons aussi un second double digital qui fait l’objet d’analyses d’inférences, parfois troublantes, sur notre personnalité. C’est sur lui qu’on peut prévoir ce que nous allons faire, ce que nous allons acheter, comment notre santé va évoluer, les parcours de formation, les parcours professionnels qu’il nous faudrait suivre, etc. Ce dernier Doppelgänger nous est inconnu et n’existe pas juridiquement, mais il va prendre de plus en plus d’importance dans notre vie sociale et notre vite au travail.

Le travail en 2030, vivra donc, au moins, les grandes implications suivantes :
Notre capital humain, c’est-à-dire ce que nous valons par rapport aux autres et ce qui nous différencie, pris au niveau individuel (chacun de nous) ou au niveau collectif (le capital humain d’une entreprise, d’un pays), va être modifié. Il va nous falloir devenir plus autonome pour le développer face à une obsolescence continue, et à une commoditisation, qui vont nous affecter. Et il nous faudra tenir compte des identiés de nos deux Doppelgänger.

Le marché du travail sera le lieu d’une dichotomie entre ceux qui auront des savoir-faire rares et ceux qui seront des commodités. Cette dichotomie augmentera les disparités de revenus.

La nature de nos attentes par rapport à notre travail, va changer. Nous attendons plus de notre travail qu’une rémunération, nous voulons de l’épanouissement, du vivre ensemble.

De nouvelles formes de relation au travail, aux statuts, au temps de travail, etc. sont en train de naître, il ne s’agit pas d’une simple marginalité mais de la traduction de ces nouvelles attentes vers plus d’autonomie et de liberté.

De nouvelles façons de concevoir le droit du travail vont s’imposer. Il va falloir protéger celui qui travaille contre les nouveaux abus rendus possibles par les nouvelles lois du marché (offre demande de travail à la tâche, asymétrie des informations entre donneurs d’ordre et « oeuvreurs » (ceux qui contribuent à une œuvre), etc.)

De nouvelles façons de considérer la rémunération du travail vont devoir être inventées.

Les savoir-faire humains vont reprendre de l’importance car nous accorderons plus de valeur à de la proximité humaine. Il nous aura fallu pour cela, tous, augmenter nos soft skills de façon importante pour rester des « humains ».

La notion de lieu de travail aura considérablement évolué, avec à la fois des endroits où une présence physique sera une composante importante des tâches, notamment là où le contact humain sera essentiel et d’autres pour lesquels la proximité physique n’aura plus aucun sens.

Les entreprises auront hacké en partie leurs rigidités et seront le lieu d’un paradoxe quasiment schizophrénique qu’elles devront traiter, chacune à sa façon :  on s’y sentira à la fois plus libre et en bien-être et dans le même temps on y sera plus surveillé, à la fois dans son travail, sa santé, ses capacités, son style de management, etc. Chacun devra y être toujours plus innovant et chacun y sera encore plus attendu quant aux résultats. Le lien de subordination aura été réinventé pour éviter que le stress ainsi provoqué ne soit explosif.

Un bel ensemble de sujets à discuter.