Lundi 27 mars avait lieu le congrès de la Fédération nationale des opticiens de France (FNOF). On a assisté à plus de 6 heures d'échanges et d'interventions denses, soutenus et riches en… déclarations fracassantes. Dans cette news et d'autres à venir, nous revenons en détail sur les débats de cet événement qui a rassemblé une centaine de participants à l'Espace du Centenaire, à Paris, dont les représentants d'une dizaine d'associations régionales d'opticiens.

Quand Alain Gerbel monte à la tribune, on guette toujours les soubresauts de la météo. Cela ne tarde jamais. D'abord l'orage gronde : "Je ne suis pas là pour faire plaisir à tout le monde, mais pour faire avancer les dossiers", déclare le président de la FNOF qui se dit bien conscient des "impatiences et des exigences" des opticiens à l'endroit de son syndicat. Et puis, très vite, la foudre tombe : "Vous, opticiens, vous attendez l'union. Mais l'union de qui, de quoi et pourquoi ?", feint-il de questionner dans une allusion transparente à la récente création du Rassemblement des Opticiens de France (ROF). Et Alain Gerbel de citer un autre Alain, le fameux philosophe : "L'union fait la force, mais de qui ?" D'entrée de jeu, le syndicaliste se montre donc hostile au ROF et il n'aura de cesse, tout au long de cette journée de congrès, de faire état de ses divergences, insurmontables semble-t-il, avec cette nouvelle structure.

La constitution du ROF ? "Les 90 opticiens ralliés (ceux issus des rangs des associations des Opticiens de Corse et de Savoie_ndlr) n'y feront rien, c'est avant tout une structure pensée par les enseignes pour les enseignes", assène Alain Gerbel qui en conteste d'ailleurs les effectifs : "Si, comme il a été annoncé, ils sont 5 400 au Rof, alors nous sommes 9 000 !" ironise-t-il. Rires dans l'auditorium.
Que pense-t-il d'André Balbi, "placé" à la tête du ROF ? "Je n'ai évidemment rien contre lui. Mais je ne peux pas cautionner une union qui n'est pas faite, en réalité, pour défendre la parole des opticiens, mais pour la confisquer", estime M. Gerbel, répétant là ce qu'il avait écrit quelques jours plus tôt dans une newsletter : "André Balbi a choisi ses amis et son combat, c’est un homme libre et indépendant que je respecte. Mais j’ai le droit de dire qu’il se trompe de combat".
Aborde-t-il les positions de principe du ROF, le commentaire de M. Gerbel fuse, cinglant : "Sur les neuf propositions du ROF, je ne peux pas en retenir une !". Et M. Gerbel de pointer du doigt en premier lieu la question, décidément clivante, des réseaux. "Se prononcer contre les remboursements différenciés comme le fait le ROF, c'est se prononcer pour l'ouverture des réseaux, donc pour des grilles tarifaires, donc pour des prix opposables", argumente Alain Gerbel. Or c'est une position "inacceptable" pour la FNOF. À l'exception de Jean-Luc Selignan aux premiers rangs, qui essaie de contester le bien-fondé de cette logique, l'auditoire semble approuver massivement. Approché par le ROF mais sans y adhérer, le président de Club Opticlibre a en effet tenté, en vain, de faire valoir l'idée selon laquelle on peut dissocier le problème des remboursements différenciés et celui de l'existence des réseaux. Irrecevable pour le président de la FNOF : "Les remboursements différenciés, c'est l'arbre qui cache la forêt", réplique le syndicaliste au président de la centrale d'achat. Pour M. Gerbel, il est évident que le modèle économique des enseignes est devenu dépendant des réseaux.
De même Alain Gerbel conteste-t-il le souhait du ROF de voir évoluer la formation initiale pour faire émerger un opticien réfractionniste : "Mais il existe déjà !", tonne l'intéressé qui tient à rappeler que le décret d'octobre 2016 qu'il a porté, axé sur le travail de réfraction de l'opticien, "a vu naître, de fait, cet opticien réfractionniste. Franchement, est-ce bien sérieux ?", s'agace-t-il.
Une, deux, dix fois, Alain Gerbel l'a donc dit sur tous les tons : "Le ROF, je n'y serai pas. Je ne cautionnerai pas, ce serait galvauder des années d'engagements", a-t-il fini par déclarer devant la dizaine de représentants des associations régionales d'opticiens qui ont fait le déplacement et pris place à ses côtés. 

Sont-ils d'ailleurs tous convaincus ? Après bien des atermoiements et des frictions en coulisses cette dernière année, il semblerait que oui. Les querelles semblent avoir été purgées et tous disent aujourd'hui faire bloc autour de la FNOF.  Et le syndicat devrait bientôt prendre plus de poids encore avec la mise en place d'une structure bicéphale ouverte aux salariés (car rappelons-le, la Fnof est un syndicat patronal), un premier collège s'adressant aux diplômés, le second aux non-salariés. Annoncée comme imminente, "sous deux à trois semaines", cette création répond au voeu des associations d'opticiens de permettre l'implication de tous les collaborateurs, au-delà du seul chef d'entreprise, dans les débats sur l'avenir de la profession. Signalons enfin, toujours dans cette idée de convergence affichée, le soutien financier apporté par Les Opticiens-Lunetiers Unis. Au nom des OLU, Philippe Vinet a en effet affecté à la trésorerie de la Fnof une partie des fonds du collectif, sous la forme d'un chèque de 5 000 euros. Et ce dans le but de mener des actions concrètes, de communication ou juridique. Le geste a touché M. Gerbel qui, apparemment, n'était pas au courant et a vu là un encouragement à poursuivre ses actions de fond. "Comme dans une mêlée, on ne peut progresser qu'en avançant pas à pas et groupés", résumera, à l'issue du congrès, un opticien présent. Sans nul doute la métaphore rugbystique conviendra-t-elle à M. Gerbel, lui qui est installé à Dax, terre d'ovalie.   

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