À deux jours de la grande journée de blocage national orchestrée par le mouvement dit des « gilets jaunes », témoignages d’opticien(ne)s qui sont mobilisés pour diverses raisons.

Ils ont enfilé le gilet jaune parce qu’ils voient rouge. Ils parlent de « matraquage injuste », de « ras-le-bol », disent, exaspérés, que « trop c’est trop », que « c’est la goutte d’eau », etc. « Ils », ce sont des opticiens et des opticiennes qui ont rejoint les rangs des gilets jaunes, ce mouvement qui s’est spontanément constitué sur internet contre la flambée des prix du carburant. Et qui prévoit de bloquer les axes routiers samedi, dans toute la France. C’est le cas de Mathilde*, pour qui les hausses successives des taxes sur le diesel ne passent décidément pas. « Je préférerais évidemment ne pas rouler en diesel mais je n’ai pas du tout les moyens de changer ma voiture. Déjà que je tremble à chaque fois que mon véhicule passe au contrôle technique ! », explique cette bientôt trentenaire qui fait quotidiennement le trajet entre Fréjus, où elle habite, et les environs de Nice, son lieu de travail : soit une soixantaine de kilomètres aller et autant au retour. Elle a fait ses calculs et en l'espace d'un an son plein est presque passé du simple au double ; « c’est lourd pour un salaire modeste », commente cette mère célibataire. Ce soir, elle compte se rendre sur la promenade des Anglais où, depuis l’hôtel Negresco, les gilets jaunes formeront une chaîne humaine en signe de protestation. « Ce sera un peu une sorte de répétition des actions de blocage prévues ce week-end. On va pouvoir se compter et mieux prendre la mesure réelle de la mobilisation », explique-t-elle. Et de préciser que les mots d’ordre de cette manifestation piétonne dépasseront largement la seule question des carburants surtaxés : « il y a un ras-le-bol généralisé. »

Dans le Morbihan, Nathalie* a très tôt été sensibilisée à la montée en puissance du mouvement. Et pour cause : son mari exerce des responsabilités dans une entreprise de travaux publics. Or « toutes ces sociétés qui interviennent dans le terrassement ou la démolition recourent à des engins qui consomment beaucoup. À l’arrivée, les augmentations du poste carburant pourraient plomber de moitié les résultats des boîtes de BTP », s’inquiète cette quadra travaillant à mi-temps, et qui fait ici allusion au surcoût engendré par l’augmentation des tarifs du gazole non routier, abrégé GNR, ce carburant spécifique dont les engins de chantier sont gourmands. À plusieurs reprises déjà, solidaire de son époux, cette opticienne l’a secondé lors de distributions de flyers sur des ronds-points ou dans des stations-service. Et elle ne le cache pas, elle voit cette séquence de mobilisation comme une forme de « revanche après ce que la profession d’opticien a traversé ces dernières années. Entre les réseaux de soins hier et bientôt le RAC 0 on subit, on subit. Mais cette fois, même si l’enjeu est complètement différent, la mobilisation est autrement plus importante comparée à nos actions corporatistes. Là, le gouvernement peut plier. » Samedi, Mathilde et son mari participeront donc à des opérations-escargot pour faire entendre leurs mécontentements.

Même sentiment d’exaspération chez Sébastien*, mais pour des raisons différentes. Depuis que cet opticien alsacien a fait évoluer son activité, l’optique itinérante représente une part non-négligeable de ses résultats. « Je me déplace dans un rayon de trente kilomètres autour de mon point de vente. Or qui dit mobilité, dit déplacements, donc la facture du budget voiture va devenir de plus en plus salée », déplore cet opticien qui mise beaucoup dans cette nouvelle forme de pratique du métier. « Il y a une vraie demande dans les communes rurales environnantes et une fois de plus, après bien d’autres coups de bambou ces cinq dernières années, voilà qu’on entrave encore la bonne marche de nos activités au quotidien ». Depuis plusieurs semaines, sur l’heure du déjeuner principalement, Sébastien s’est donc relativement investi dans les comités locaux des gilets jaunes. Il compte bien être partie prenante de l’un ou l’autre des blocages nombreux qui interviendront samedi de Wissembourg au Sundgau. Même si pour cela il doit baisser rideau ce jour-là.

* Les prénoms ont été modifiés.

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